Ecole et larmes

Et voilà, Crapouillette Ière vient de faire sa première semaine en Grande Section, ou en d’autres termes comptables sa troisième rentrée. Et à l’aube de ses 5 ans, elle pleure toujours et encore quand je la laisse à l’école, que ce soit à la garderie du matin, ou à la maîtresse à 13h30.

Elle a pleuré tous les matins de Petite Section.

Elle a pleuré tous les matins de Moyenne Section, et puis aussi tous les après-midi de Noël à Pâques.

Ensuite, sa maîtresse l’a prise entre quatzyeux en lui disant qu’il fallait qu’elle arrête ses caprices pour me faire culpabiliser et elle s’est arrêté de pleurer.

Bon.

Ca semblait gagné. Et en même temps, j’étais effarée de m’être laissée rouler dans la farine pendant presque 2 ans par ma rejetonne clone de Rosemary’s Baby. Et j’étais d’autant plus vexée que je suis instit’ donc censée y connaître un peu quelque chose aux chiards.

https://arsinoelacrapaude.files.wordpress.com/2011/09/williamcastle-review-rosemary2527sbaby14april2011.jpg?w=201

J’avais pourtant tout essayé.

https://i0.wp.com/media.paperblog.fr/i/58/584482/rosemarys-baby-sur-mere-again-L-1.jpegEuh, non, pas ça, en fait…

Déjà, jamais, je dis bien jamais, AU GRAND JAMAIS je n’ai cédé en la gardant à la maison (ou encore pire en la ramenant de l’école à la maison).

J’ai essayé la douceur.

J’ai essayé la fermeté.

J’ai essayé les engueulades.

J’ai essayé les punitions.

J’ai essayé la coercition psychologique légère.

J’ai essayé la discussion.

J’ai essayé le mensonge.

J’ai essayé la motivation intrinsèque.

J’ai essayé la motivation extrinsèque.

J’ai essayé le soudoiement.

J’ai essayé les objets de transition avec mon odeur dessus.

J’ai essayé la magie avec les formulettes.

Rien. Nada. Que dalle. Nibe. Peau de zob. Que tchi.

Autant dire que j’y perdais mon latin, mes bras, mes jambes, des litres de liquide lacrimal, mes principes, mes convictions, mes certitudes, et presque mon intégrité mentale.

J’en étais arrivée à échafauder une ribambelle d’explications.

Crapouillette Ière n’aimait pas l’école.

Ni sa maîtresse Mme Frigo.

Ni ses camarades de classe avec lesquels elle ne jouait jamais.

Crapouillette Ière était un peu sauvage. Voire asociale. Comme Papa et Maman.

Puis Crapouillette Ière était peut-être précoce (hypothèse vite invalidée, elle n’arrivait pas à compter les cure-dents tombés par terre).

Ou alors Crapouillette Ière était capricieuse.

Ou encore Crapouillette Ière avait une phobie scolaire (invalidée après discussion avec mes gentils collègues, dont celui bossant pour l’ASH (Adaptation Scolaire et Handicap)).

Mais la plus simple et la plus évidente pour moi était « elle a du mal à se séparer de moi à cause des conditions de sa naissance ».

Laisse-moi te conter une histoire digne des plus poignants épisodes de « La Petite Maison dans la Prairie »…

Il était une fois en Portenawak Republic, dans la riante contrée verdoyante et humide nommée Troudeballetaoune, une Crapaude enceinte de 2 mois, qui commença  à avoir mal au dos et au-dessous des côtes. Ayant consulté moults fois son guérisseur généraliste traitant local, sans succès aucun, elle se tourna vers un osthéopathe dont la réputation avait franchi les frontières du canton.


Après des palpations de panse diverses et variées, il décréta qu’il ne pouvait rien pour la Crapaude (qu’on nommera aussi Arsinoe) et qu’elle devait consulter de toute urgence un guérisseur traditionnel car sa rate était énorme.


Arsinoe obtempéra. Son guérisseur habituel étant en vacances, elle se tourna vers celui du village voisin qui confirma les dires du guérisseur alternatif. Il l’envoya donc passer une échographie à la clinique voisine, où, quand le guérisseur de grade supérieur vit l’énormité de la rate sus-nommée, on l’envoya de toute urgence au grand hôpital de la grande ville dans un carosse à girophares et à sirène hurlante.


Arrivée là-bas, on l’envoya directement en réanimation, la Faucheuse pouvant surgir à n’importe quel instant si l’hématome de 1.5 l de sang au niveau de sa rate explosait.


Mais rien ne bougeait. L’état clinique de notre Crapaude était stable.


Elle resta hospitalisée en observation pendant un mois, ne pouvant passer d’autres examens plus poussés que radios et échographies à cause de sa grossesse, son têtard en gestation n’ayant pas encore atteint ses 3 mois révolus.


A ce stade, on put enfin passer un scanner à Arsinoe, à la suite duquel on découvrit qu’il ne s’agissait pas d’un hématome à la rate, mais d’un kyste de 4 litres !!!


Décision fut prise de l’opérer pour lui enlever le kyste ET la rate, malgré les risques encourus pour le foetus lors de l’anesthésie générale.


Heureusement, tout se passa pour le mieux, et le kyste était bénin. Il n’empêche que la Crapaude flippa comme une dingue jusqu’à l’échographie morphologique du cinquième mois, où elle apprit heureusement que le rejeton était parfaitement normal, et qu’il s’agissait en fait d’une rejetonne de l’espèce dragonnette-à-couettes.


Cela dit, ce bonheur-là ne suffit malheureusement pas à calmer les douleurs importantes que notre Crapaude avait commencé à ressentir aux niveaux digestif et respiratoire. Les guérisseurs quels qu’ils soient lui disaient que c’était le syndrôme de l’organe fantôme, que c’était psychosomatique, qu’elle culpabilisait d’avoir fait vivre tout ceci à son bébé, etc.


Mais un beau jour, Arsinoe n’en put vraiment plus. Elle approchait les 6 mois de grossesse révolus. Cela faisait plus de 15 jours qu’elle ne dormait plus tellement les douleurs respiratoires étaient importantes. Puis elle n’arriva plus à s’alimenter, les douleurs gastriques étant particulièrement atroces. Elle finit pas ne plus pouvoir ingurgiter une gorgée d’eau sans la rendre.


Monlolo l’emmena donc aux urgences. On l’hospitalisa pour plus de sécurité en Obstétrique, où, malgré une radio pulmonaire où les 2 poumons n’étaient ni symétriques, ni de la même couleur, malgré ses dires, ses plaintes et ses pleurs, on lui rejoua le couplet de la psychosomatisation, où on l’engueula en lui disant qu’elle allait devenir maman et qu’il fallait quand même qu’elle prenne un peu sur elle, où on lui riait au nez quand elle disait que sur l’échelle de douleur allant de 1 à 10, elle était à 8. Du genre « Ah, mais vous exagérez, quand même, à 8, on est à l’article de la mort ! »


On daigna quand même lui poser une perfusion en l’engueulant car elle n’avait pas de veine (au sens littéral du terme), puis comme le petit personnel en avait marre de passer trop de temps à la piquer et à nettoyer ses vomissures sanguinolentes, on la fit descendre au bloc opératoire pour lui faire poser une VVC (Voie Veineuse Centrale, c’est-à-dire un catéther posé dans la jugulaire au niveau du cou).


Là, elle trouva enfin des gens gentils, effarés de voir qu’elle était complètement déshydratée. Ils lui posèrent la VVC, puis entreprirent de la remonter dans sa chambre.


[…]


La Crapaude se réveilla. Elle fut de suite aveuglée par une lumière blanche et crue. Elle commença à distinguer des visages inconnus penchés au-dessus d’elle. Elle tenta de bouger la tête. En vain. Elle tenta de parler. En vain. Elle distingua quelques sons. Des paroles. Sans en comprendre le sens. De qui parlaient ces gens? Ce qu’ils racontaient n’avait pas de sens… Les corps au-dessous des visages se mirent en mouvement, se rapprochèrent. Des mots résonnèrent: « N’essayez pas de parler, vous êtes intubée. Vous comprenez ce qu’on vous dit ? »

La Crapaude hocha péniblement la tête.

« Tenez… » lui dirent-ils en lui tendant une ardoise blanche aux bords verts avec un feutre bleu.

« Où suis-je ? » écrivit Arsinoe.

« Vous êtes en réanimation à l’hôpital de Midtaoune. »

« Pourquoi ? »

« On a dû vous opérer pour vous enlever l’estomac et vous recoudre le diaphragme et le poumon gauche. »

Les larmes se mirent à rouler sur les joues crapaudines.

« Et mon bébé ? » écrivit la Crapaude.

« Elle est en réanimation néonatale à l’hôpital de Bigtaoune. »

« Je ne comprends pas. »

« On a dû enlever votre bébé pour vous opérer. »


[blackout]


Au fil des jours qui suivirent, la Crapaude comprit enfin ce qui lui était arrivé. En remontant du bloc après la pose de la VVC, elle a fait un arrêt respiratoire. Après divers examens, ils ont dû lui ouvrir le ventre en deux. A l’intérieur, ils ont trouvé un estomac nécrosé coincé en travers du diaphragme qui s’était déchiré, un poumon gauche troué, et un bébé de 6 mois. Ils ont enlevé l’estomac, le duodénum et le bébé, ont recousu le diaphragme et le poumon, puis ont refermé le tout avec 40 points de couture, non sans avoir pris soin de faire des trous un peu partout pour y planter des tuyaux aux noms exotiques (LAM, drains, Shirleys…) pour évacuer diverses substances visqueuses jaunâtres.


Quant au bébé, une petite dragonnette-à-couettes répondant au doux nom de Crapouillette Ière, elle avait été évacuée dans un service de néonatalogie de niveau 3 dans un grand hôpital à 60 km de là. Elle pesait 1kg080 et mesurait 37 cm. Elle allait pas trop mal, avait été extubée tout de suite ayant bien réagi au Surfactan, un produit pour la maturation des poumons.


Toutefois, elle peinait à prendre du poids, faisait des bradychardies (rythme cardiaque trop bas), a même fait une infection du péricarde. Elle était en couveuse, parfois sous « lumière bleue » contre la jaunisse.


Monlolo, c’est-à-dire le papa, alternait comme il pouvait les visites entre ses deux amours dont « le pronostic vital était engagé ».


Quant à la Crapaude, elle tenait comme elle pouvait, se moquant royalement de son état (on lui avait garanti qu’elle pourrait s’alimenter par voie orale avec une alimentation quasiment normale), faisant tous les efforts possibles pour se remettre au plus vite afin de pouvoir être en état d’aller voir sa fille.


Ce moment arriva au bout de 15 interminables journées… Elle put enfin voir son enfant et le tenir dans ses bras.


Dès cet instant, la petite commença à aller mieux et à reprendre du poids.


La Crapaude quitta l’hôpital au bout de 3 semaines. Elle dut attendre encore 6 longues semaines pour pouvoir rentrer dans son foyer avec son bébé et Monlolo.


Et depuis, ils vivent heureux, même s’ils ne peuvent plus avoir d’enfants.


The End.

[…]

Allez, je suis gentille, je te laisse un moment pour aller chercher un mouchoir et essuyer tes larmes.

[…]

Et ta morve, aussi…

[…]

Fais gaffe, t’en as encore un peu à gauche, là…

[…]

Voilà.

Donc, j’ai longtemps pensé que les braillements de Crapouillette Ière étaient dus à tout ça, d’autant plus qu’elle était encore en couveuse en néonat’ que la pédopsy’ du service nous disait qu’il y aurait des répercussions de notre séparation à la naissance, on ne sait quand, on ne sait comment, mais que quand ça arriverait, on s’en rendrait compte. Qu’il faudrait être patient, que ça prendrait du temps, et qu’il n’y aurait pas grand’chose à faire.

Eh ben voilà, je crois qu’on est en plein dedans !

Toutefois, de la manière que ça s’était calmé l’an dernier, j’ai commencé à douter.

« Tout cela n’aurait été que des caprices ? »

J’ai donc abordé cette rentrée avec cette idée en tête, avec la ferme intention de ne pas me laisser mener en bateau.

Jusqu’à ce matin, où Crapouillette Ière m’a dit (je reprends ses mots) qu’elle était inquiète, qu’elle ne voulait pas se séparer, car elle avait peur que je ne revienne jamais.

Déjà que cet été, suite à mes problèmes de santé, elle avait avoué à mes parents « J’ai eu peur, j’ai cru que ma mère, elle allait mourir »…

La classique « peur de l’abandon ».

Si t’es maman ou papa, je crois que c’est pas la peine que je te décrives mes émotions et le mal de bide que je me suis chopé.

Si t’es pas maman ni papa, je crois que tu peux très bien comprendre aussi…

Alors, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, parents ou pas (encore), membres du corps médical, membres du corps enseignant, je vous exhorte à ne pas juger trop vite ni l’enfant qui pleure quand sa mère s’en va, ni la mère en question.

Certes, il y a des enfants capricieux, des mères à la con qui ne méritent pas leur(s) gosse(s), mais il y a aussi des gens bien qui n’ont rien demandé à personne et qui doivent quotidiennement affronter l’opprobre.

D’avance, merci pour eux.

6 réflexions au sujet de « Ecole et larmes »

  1. OHhhhhhh…. et ben ! j’ai TOUT lu ! Et comme un roman, tu as vraiment des talents pour écrire (allez, commence ton roman! ). En tout cas, ravie de te connaître un peu plus chaque jour, je me sens concernée parce que je suis maîcresse (GS cette année) et pas encore maman (j’ai le temps!!). D’ailleurs, les accouchements et tout ce qui s’en suit me font encore trop flipper ! Tu as eu du courage et heureusement tout finit bien !

    Et merci de m’avoir prévenu pour la morve à gauche de ma bouche. (c’était presque ça !)

    à bientôt

    bises

  2. Je suis venue lire ton témoignage ici, en complément de celui chez Maman Bavarde. Je n’a pas eu le temps d’aller chercher un mouchoir ><
    J'en ai mal au ventre et j'aimerais trouver des mots réconfortants mais je crains de n'être pas douée juste que tu es passée au travers de moments terribles (je me demandais d'ailleurs pourquoi tu faisais des visites régulières à l'hôpital mais je n'osais pas demander) alors je te fais un gros calin virtuel et la façon dont tu as géré ça me semble exemplaire ❤
    Puis les enfants qui crient, je ne juge plus depuis longtemps 😉 avant ça m'horrifiait mais depuis que j'ai compris je suis solidaire avec les parents… lol

    • Oh merci, t’es gentille…
      Pour gérer ce genre de situation, je pense qu’il faut avant tout accepter ce qui arrive, et arrêter de trop réfléchir… ce qui n’a pas été chose aisée pour moi, n’ayant pas d’instinct !
      Bises, à plus 🙂

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