Je me suis fait courser par un vieux tayaut

L’autre jour, je suis allée faire une petite commission au Petit Casino.

Ouaip.

Je vais reprendre, là.

Car à ce niveau de l’histoire, tu te dis :

– « Ômaillegode, elle a une vie vraiment fascinante, la Crapaude… -_-« 

Ou alors :

– « Quelle dégueulasse, cette batracienne, elle va poser sa pêche chez les petits commerçants du quartier ! »

Même pas.

C’est qu’ici, dans ma campagne dans ma région reculée, on parle un idiome aux accents étranges, aux relents de patois pré-julesferrysien.

Genre je suis prête à parier que t’as pas compris le titre de cet article. Mais ça va venir en lisant la suite de mon histoire, qui, si elle commence d’une façon certes banale, ne va pas tarder à t’emmener dans un autre monde (surtout si tu es citadine).

Je reprends donc.

Pouf pouf (façon Desproges dans « La Minute de Mr Cyclopède »).

L’autre jour, je suis allée faire quelques petites courses au Petit Casino de mon village de quelques 2000 âmes (ça a l’air d’être un gros village, comme ça, mais   en fait, il est éclaté en un bourg principal de 1000 habitants environ (où je vis) et une dizaine de petits hameaux). J’achète quelques morceaux d’animal mort et des ovules de poules, puis sagement, prends ma place dans la queue où me précédaient une vieille avec qui je fais du yoga et qui m’a pas reconnue (Aloïs A. a encore frappé…) et un vieux que je connaissais de vue, mais dont la sienne devait commencer à baisser, car il ne m’a pas vue arriver derrière lui et je lui ai fait peur en posant mes courses sur le tapis de la caisse.

Gnark gnark, la Crapaude qui fout les jetons aux vieux…

Penses-tu.

Forcément, ça a commencé à rigoler, l’épicier très sympa en rajoutant des tonnes comme quoi les vieux c’est plus bon à rien, qu’il faut les aligner au départ d’un 100 mètres et ne garder que le premier qui passe la ligne, etc (oui, on est rude avec nos anciens, dans nos campagnes. Limite on pourrait faire comme les vikings et les abandonner dans la neige et tout) (en plus ça tombe bien, y’en a, en ce moment, période faste pour les accidents de déambulateurs…)

Paris Saint-Germain-des-prés

Mais je m’égare.

Tout le monde finit par payer sa note au milieu des éclats de rire, puis on s’en va tous en même temps du magasin, la vieille vers la droite, moi et le vieux sur mes talons vers la gauche.

Là, si tu es citadine, ou encore pire, Parisienne (j’imagine même pas) tu dois peiner à imaginer la scène. Ou me trompé-je, victime de mes préjugés sur les Parigots ? (je crois pas, vu comme on m’a dévisagée quand j’ai osé lancer un « Bonjour ! » tonitruant et cordial comme à mon habitude en entrant dans une épicerie parisienne).

Coâ ??? Les gens restent dans le magasin pour rigoler alors qu’ils ont fini de payer ??? Quelles moeurs étranges que celles de ces provinciaux de la Cambroussie…

Ayant fini mes courses, j’enquille l’espèce de traboule qui me conduit à ma maison, et presque arrivée au bout du couloir, j’entends la porte qui s’ouvre et un « Mademoiselle ?… MADEMOISELLE ! ». Tu parles, je m’étais pas reconnue, moi ! Mademoiselle… Ca fait une paie qu’on m’a pas appelée comme ça !

Je me retourne, et vois le vieux qui était devant moi au Casino qui m’attend à la porte.

– Oui ? J’ai oublié quelque chose au Casino ? dis-je poliment en m’en retournant sur mes pas.

– Non non !

– J’ai perdu un truc dans la rue ?

– Non non, vous z’inquiétez pas ! Vous habitez là ?

– Euh… oui… (on sent bien la campagnarde qui se méfie pas, là…)

– C’est juste que je voulais vous dire, j’ai un très bel appartement au-dessus de la pharmacie.

– Ah ? Et… ???

– Oui, j’ai un bel appartement à louer au-dessus de la pharmacie, un beau T2, alors quand je vous ai vu, j’ai pensé, une jeune femme, comme ça, elle doit bien avoir une copine…

– Euh… hein… ???

– Oui, par exemple, les jeunes femmes comme vous, elles ont des copines qui peuvent vouloir louer un appartement, alors il est bien, hein, 60m², 300 euros, donc si vous avez une copine que ça intéresse, pas une famille, hein, mais une copine… c’est bien pour une copine !

– Euh, ben, oui, je ferai passer le message…

– D’accord, merci, bonne journée !

– De rien, bonne journée à vous aussi !

Quelque peu interloquée par cette conversation nébuleuse, ce que je mis à moitié sur le compte de la vieillesse qui a bien l’air d’être un naufrage, et à moitié sur ma grosse fatigue d’immunodéprimée enrhubée, je rentre néanmoins dans mes pénates et commence à préparer à manger.

Monlolo rentre du boulot 3/4 d’heure après, on se met à table (Crapouillette Ière était à la cantine, et moi exceptionnellement à la maison car en arrêt maladie), et je lui narre ce que je viens de t’écrire.

– C’était qui, ce vieux ?

– Le père G***, tu sais l’ancien fromager.

– Arf arf arf !!! Vingt dieux, faut faire gaffe avec lui, c’est un vieux tayaut !!! Arf arf arf !!!

– Oh la vache, je me disais bien aussi que c’était bizarre, son truc !

– T’sais quoi ? Un jour, quand j’étais jeune, j’étais chez Gégé (ndlr : notre cher buraliste) et y’avait le père G***. Il vient me voir, pis il me dit « Hein, dis, un beau gosse comme toi, ça doit y aller avec les bonnamies, hein, hein ? » avec ses petits yeux brillants et tout !

– Ah ben dis donc, il cache bien son jeu, çui-là…

– Ouais, et pis tu sais quoi ? En plus, il parait qu’il a un super gros chibre !!!

OMG the GGB

Oh – my – Gode…

Sérieux, c’est cool, la campagne, tu sais la taille des quéquettes de plein de mecs que tu connais pas bibliquement et que tu croises dans la rue quotidiennement. Y’a des légendes locales, des histoires de zguègues qui rentrent pas dans des gobelets, d’autres qui ont des formes étranges, des histoires avec de l’huile… Tu sais qui est cocu, tu connais l’origine de ressemblances étranges entre des gens pas censés être de la même famille (j’ai d’ailleurs découvert à l’âge adulte que ma meilleure copine d’enfance avait quelques gènes en commun avec moi… sacré Tonton Lucien… encore un vieux tayaut que celui-là !)

Aaahhh… les joies de la vie à la campagne !!!

Par contre, faut bien te dire un truc :

c’est que ça marche dans les deux sens…

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Bonus track :

La minute cul-turelle d’Arsinoe la Crapaude

L’expression « un vieux tayaut » est fort usitée par chez moi. Inutile de me lancer dans une définition approximative, je crois que t’en as saisi le sens grâce à l’histoire que je viens de te conter !

Par contre, vu que c’est une expression orale, je ne sais pas du tout l’orthographier. J’ai hésité entre « tayaut » et « taillot ». Car au niveau du sens, les deux peuvent correspondre.

– Taillot : instrument pour tailler ou couper

(et on sait que y’a plein de choses cochonnes qui se taillent…)

– Tayaut ou taïaut : cri employé par les veneurs à la chasse du cerf, du chevreuil ou du daim, pour avertir qu’ils ont vu l’animal.

(genre « Oh vainzou, v’la la bête, partons en chasse à ses trousses, camarades ! »)

Mais autant l’expression « un vieux tayaut » semble être bien du coin, que le mot « tayaut », lui, est assez répandu. J’en veux pour preuve son utilisation dans la chanson grivoise « Le Duc de Bordeaux » dont je te livre ici les paroles truculentes (trouvée sur ce site-là)…

LE DUC DE BORDEAUX

Le duc de Bordeaux ressemble à son frère,
Son frère à son père et son père à mon cul ;
De là je conclus qu’le duc de Bordeaux
Ressemble à mon cul comme deux gouttes d’eau.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

Le duc de Chevreuse ayant déclaré
Que tous les cocus devraient être noyés,
Madame de Chevreuse lui a demandé
S’il était certain de savoir bien nager.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

Madame la duchesse de la Trémouille,
Malgré sa pudeur et sa grande piété,
A patiné plus de paires de couilles
Que la Grande Armée n’a usé de souliers.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

Le roi Dagobert a une pine en fer,
Le bon Saint-Eloi lui dit: « Eh bien ! mon roi,
Si vous m’enculez, vous m’écorcherez »
« C’est vrai, dit le roi, j’en f’rai faire une de bois ».

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

J’emmerde le roi et le comte d’Artois,
Le duc de Berry et la duchesse aussi ;
Le duc de Nemours, j’l’emmerde à son tour
Le duc d’Orléans, je l’emmerde en même temps !

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

Chasseur as-tu vu le trou de mon cul ?
Si tu veux le voir, tu reviendras ce soir ;
Moi, j’ai vu le tien, je n’en ai rien dit,
Si tu vois le mien, tu n’en diras rien.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

La p’tite Amélie m’avait bien promis
Trois poils de son cul pour en faire un tapis ;
Les poils sont tombés, l’tapis est foutu,
La p’tite Amélie n’a plus d’poil à son cul.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

La bite à papa qu’on croyait perdue,
C’était la p’tite bonne qui l’avait dans les fesses ;
La bite à papa n’était pas perdue,
C’était la p’tite bonne qui l’avait dans le cul.

Taïaut, Taïaut, Taïaut !
Ferme ta gueule, répondit l’écho.

Alors, tu vote pour quelle orthographe ?

PS: je tiens bien évidemment à préciser qu’aucun vieux ou vieille n’a été maltraité durant l’élaboration de cet article. Et pis d’abord moi je dis vieux ou vieille et j’ai le droit, car eux ils ont le droit de dire « les jeunes » et personne leur dit rien, alors voilà.

32 réflexions au sujet de « Je me suis fait courser par un vieux tayaut »

  1. Génial cet article!!!! Tu m’as bien faite marrer… Moi qui suis de la (moyenne) ville, je crois bien que je l’aurai assommé avec mon morceau de bidoche acheté à Casino avant qu’il ait pu rajouter quoi que ce soit à sa sombre histoire de garçonnière…. Non mais sans blague, vieux pervers!

  2. mdr!!

    effectivement je ne connaissais pas l’expression « vieux tayaut »

    par contre le cri de guerre « à tayaut!!! », ouais je connais et j’ai dû le dire au moins une fois dans ma jeune existence (…)

  3. Bonjour Arsi,
    Merci pour ce billet très drôle qui me parle si bien (j’en ai encore le sourire aux lèvres). Je vis dans un village au sud- ouest de la France où la vie s’ écoule paisiblement. Les blagounettes ne sont pas toujours très fines. Les gens ne sont pas pressés sur la route, à la pharmacie, au supermarché… parfois je perds patience dans mon fort intérieur mais me dit que je préfère ça à la frénésie des grandes villes que j’ai connu.
    Quand je vais chercher le pain le dimanche matin je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer car si je rencontre du monde à la supérette ou pire sur le trajet, je ne peux pas ne pas m’arrêter pour taper la causette avec une, deux, trois… mamies que j’ai déjà soigné.
    Après je tombe forcément sur deux ou trois conseillers municipaux, le restaurateur du village, des copains viticulteurs, le facteur avec qui je finis par prendre le café au bistrot (collé à la superette) sur un fond sonore de résultats de courses du pmu étouffé par le bruit des conversations.
    Souvent je suis mise au courant de scoops de oufs dont je n’aurais forcément pas pu passer… En campagne, les gens adorent les cancans, le débat philosophique y est parfois plus gras qu’à la ville mais la vie y est simple, généreuse et authentique.
    Bonne semaine ma crapaude!

    • Ben pareil, quoi !
      La ville, c’est bien quand t’es étudiante.
      Et encore, j’ai pas voulu une grosse grosse ville, je suis allée à Grenoble. Un pied total…
      Mais je dois dire que si le retour à la campagne fut rude, pour rien au monde je n’irais vivre en ville. Trop rapide, trop stressant, trop violent, trop de tentations… Trop, quoi ^^Par contre, j’aime bien y aller de temps en temps pour voir autre chose. Ici, dès que je mets un jean rouge ou une salopette, on me regarde comme une alien !

  4. Je vote pour l’orthographe que t’as choisie, j’imagine bien le vieux le sboob dans une main, la cane dans l’autre, prêt à courser la gueuse^^
    (horreur, je vais encore faire des cauchemars moi)

    • Arf arf !!!
      Et depuis, j’ai appris que la vieille qui était à Casino avec nous et avec qui je fais du yoga, elle avait été sa maitresse dans les 70’s, au vieux (qui était alors jeune). Et que ça lui avait valu un bel oeil au beurre noir, au tayaut !!!
      Quand je te dis qu’on sait tout ^^

  5. Mdr .. .
    Bon moi aussi je vais te raconter ma vie dont mon point de vu découle (logique quoi)

    Alors la sale Parisienne que je suis qui à déménager masse de fois et qui vie actuellement dans un micro village (très beaux certes) qui fait la moitié de populace du tiens comprend a bien tout comprit . Si tu veux tout savoir, je sors des grands ‘bonjour » quant j’arrive dans les grands magasins parisien (enfin ca marche bien dans les grands hypers de l’hexagone aussi), ca me fait tjs hurler de rire (intérieurement) et y a tjs un con pour te regarder comme E.T et puis je suis poli (merde !)

    Pour les histoires de village, comme je te plussois . Ca me fascine tout le monde se connait, a l’époque ou j’ai fais le recensement ca y allait les commentaires de mon supérieur genre veille conversation de commère avec sa collegue. Pareil j’ai une pote elle connait tout le monde, elle sait tout, toute les rumeurs sur un tel et une telle … Et moi qui suis a moitier sauvage dans ce genre de cas, personne me connait quasiment : je me rappellerais tjs un jour on etait au café du village avec la pote en question et elle a croisé une de ses connaissances le mec me voit, et déduit ‘logiquement’ que je ne suis pas du bled ma copine le détrompe et la le mec ultra choqué ‘quoi mais je t’ai jms vu, ca fait combien de temps que tu vies la? Euh bas j’y ai vecu 3 ans durant mon adolescance et la ca fait un ans que je suis revenu’ ah mais comment ca se fait que je t’ai jms vu .
    Bas je mets ma cape d’invisibilité pour sortir par dit !

    • Hé hé !!!
      Sérieux, le « bonjour » dans les magasins en ville, je le fais exprès pour me marrer intérieurement aussi, maintenant !
      Quant aux ragots, ils sont loin d’être toujours la vérité, même s’il y a très souvent un fond de vrai à la base !

      • A oui la rumeur ‘enfle’ en general .
        Mais c’est assez drole, les gens on tous plus ou moins des réputations du coup !Et puis bon c’est jms ‘elle s’est une sainte’ non c’est plutot ‘elle elle a couché avec un tel et son maris en fait c’est pas le pere du gosse’

  6. Tayot, taillot…taille haut. Bref j’arriverai jamais à le réutiliser ! En tout cas j’ai bien rigolé en ce début de semaine…

  7. Je suis pliée là …. tayot, vingt dieux, bonnamie, 300€ un T2 …. tu devrais parler Français quand même si tu veux être comprise par la capitale hein !!!

    • Ah oui, même que je mélange des mots de patois local avec des mots de patois calabrais ! Je suis parfois totalement incompréhensible ^^ Et en plus, j’ai un accent, même que dans le Périgord, les gens croyait que j’étais suisse !!!

  8. Mais il est juste mythique cet article! Alors non seulement j’ai bien ris, mais en plus j’ai appris plein de nouvelles expressions !! Après, je ne suis pas sûre à 100% d’avoir compris la signification de Tayaut…bien que j’ai une vague idée (bah quoi oui, je suis innocente!!). En tout cas, c’était génial! Bises ^^

    • Mythique…
      RHÂ LOVELY !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
      Sans déc’, merci beaucoup, ton comm’ me fait vachement plaisir !
      J’arrive de chez toi, j’aime bien, et j’y retourne pour jouer ^^
      A plus !

    • Merci !!!
      Quant aux nouvelles, tu vois, c’est un genre auquel je n’avais jamais pensé… Mais effectivement, c’est peut-être l’écrit qui me conviendrait le mieux… Merci pour l’idée !!!

  9. J’ai adoré !! J’avais l’impression d’y être 😛 Moi qui n’ait jamais quitté ma banlieue tu me parles d’un monde que je ne vois que dans les journaux et les vieux livres de Zola !!!
    Déjà à commencé par 300€ pour 60m², ici pour 60m² c’est 1000€ de loyer au moins !

    Fin bref, si tu en as d’autres je veux encore les lire !!! J’ai vraiment adoré cette lecture !!

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